2 ans de stage au Pérou. Une entrevue avec Louise Rose

2 ans de stage au Pérou. Une entrevue avec Louise Rose

29/07/2019
Jo Vermeersch
Jo Vermeersch
Communicatiemedewerker (op pensioen)

Pendant 2 ans, Louise Rose a été membre junior de l'équipe Rikolto au Pérou. Maintenant que son temps est écoulé et qu'elle séjourne à nouveau en Belgique, elle revient sur cette période avec nous.

Qui est Louise Rose ?

Je suis Louise Rose, je viens de Belgique. Les deux années passées, j’ai changé mon nom pour Luisa Rose, car je suis allée travailler au Pérou. Le Pérou est un pays où le sexisme est encore très présent, aussi dans le contexte (agricole) rural. Ce qui faisait que mon nom Louise était souvent confondu avec Luis, et quand j’allais quelque part, on attendait un homme au lieu d’une femme. En utilisant Luisa, j’évitais cette confusion.

J’ai une maîtrise en économie et j’ai aussi fait des études en environnement. Pendant mes études d’économie, j’ai vite vu que l’économie axée sur les entreprises n’est pas vraiment mon truc, alors j’ai commencé à me concentrer plutôt sur l’économie macro et coopérative.

Qu’est-ce qui t’a amené au Pérou ?

À la fin de mes études, le programme Junior Expert du BTC (l’agence belge de développement, que s’appelle Enabel maintenant) a retenu mon attention. J’ai soumis ma candidature pour 3 projets, tous dans le secteur agricole. Rikolto au Pérou était le numéro un sur ma liste, parce qu’il s’agissait de travail dans le cadre de deux chaînes de produits qui m’intéressent vraiment : le cacao et le café. J’ai sollicité et j’ai été embauchée. Pour moi c’était vraiment un cadeau, pouvoir travailler tout au début de ces chaînes de produits.

Au Pérou, ma tâche principale était de travailler pour l’intégration de jeunes dans les chaînes du cacao et du café. En pratique, je suis rapidement devenu membre de l’équipe qui s’occupait principalement des activités et projets dans la chaîne de café. Nous étions une petite équipe de 4 personnes au Pérou. Ce qui est intéressant à propos des petites équipes est que rien n’est certain et qu’on doit assumer différentes tâches. Ceci garantit flexibilité dans le travail. Nous avions également divers profils dans l’équipe, ce qui la rendait intéressante : travailler dans une équipe complémentaire.

Juste au moment où tu commençais, l'organisation a subi des changements majeurs. Une nouvelle structure plus horizontale et décentralisée, un nouveau nom, un nouveau rôle pour les régions et les pays, une nouvelle façon de travailler. C'était difficile ?

Comme je suis plutôt flexible, ce n’était pas tellement difficile pour moi. En plus, j’ai étudié la gestion, donc j’ai trouvé le processus de changement dans l’organisation fort intéressant. Le nouveau mode de gestion, selon les principes-TEAL, m'a fasciné. J'ai commencé à lire à ce sujet et, après avoir assisté à un atelier avec des collègues équatoriens, je suis devenue encore plus enthousiaste. Plus que la plupart de mes collègues, je crois. Ce que je peux comprendre, car si vous avez l'habitude de travailler dans une structure plus descendante, il peut être effrayant d'amener la gestion et la prise de décision au niveau de l'équipe. Cela nécessite un ajustement majeur pour les directeurs et pour les autres membres de l'équipe.

Le Pérou était vraiment une chouette expérience. La première année de mon séjour, notre équipe était dirigée par Paola Mercado, qui est très expérimentée et compétente. Nous avons tous beaucoup appris d'elle, mais quand j’étais une bonne année là-bas, Paola a quitté Rikolto après de nombreuses années. En conséquence, nous avons passé 4 mois sans directeur et en fait nous avons été contraints de travailler en équipe autonome pour que les projets puissent continuer. La nécessité et l’opportunité nous ont donc permis de changer le mode de fonctionnement de notre petite équipe, passant d’une gestion plus hiérarchique à une équipe plus autogérée. Quand un nouveau directeur a finalement été trouvé, elle a trouvé une équipe bien organisée et nous avons en fait continué avec notre nouvelle façon de travailler.

C'était une période fantastique pour moi. J'ai appris à connaître la théorie TEAL et je pouvais faire partie d'une organisation qui la met en pratique.

D'un point de vue belge, cette méthode de travail plus décentralisée était une " suite logique " pour l'organisation. Était-ce aussi la perception dans le Sud, au Pérou ?

Je voyais bien que les gens regardaient ce changement avec des sentiments contrariés. Traditionnellement on espère, certainement dans un nombre de régions, que les directeurs ou spécialistes aient des solutions et réponses, et de l’autre côté les directeurs donnent un espace limité pour que leurs collaborateurs prennent des responsabilités.

Ce qu’on demande aux gens est de changer leur façon de penser. Une équipe doit s’adapter à ce nouveau processus de prise de décisions plus commune. Ce qui était très clair auparavant, tout à coup était mis en question avec le nouveau mode de travail. Pour beaucoup de gens c’était déroutant. À mon avis il y a encore beaucoup de travail à faire pour que tout le monde puisse mieux comprendre où sont leur rôle et responsabilité, et comment se peut développer la dynamique de l’équipe, autant pour les directeurs comme pour les collaborateurs. Par exemple, cette façon de travailler demande plus de moments de consultation, consultation qui peut aussi être plus informelle. Une bonne communication interne est l’un des éléments clés de ce processus.

Si vous voulez modifier un système à partir d'une structure existante, il est difficile de mettre en œuvre le changement. Le fait que nous étions sans directeur pendant un moment a facilité la mise en œuvre du nouveau système par notre équipe. Simplement parce qu'il fallait le faire... Il faut laisser les gens partager et échanger leurs expériences les uns avec les autres. Cela est indispensable dans une structure plus autogérée.

En jetant un regard rétrospectif sur ces deux années, quelle serait votre plus grande réalisation, de quoi êtes-vous le plus fière ?

Atelier - 'Wanted: Food for the Future.'

Sur le plan personnel, je suis fière d’avoir appris l’espagnol dans peu de temps, ce qui m’a permis de m’intégrer rapidement dans l’équipe. Au niveau du travail avec les jeunes, nous avons réussi à bien situer le contexte la première année : les problèmes rencontrés par les jeunes, les défis, mais aussi les solutions possibles. Malgré le fait que les moyens financiers étaient très limités, nous avons néanmoins réussi à lancer plusieurs activités concrètes avec les jeunes. Notre travail a reçu un véritable coup de pouce grâce au projet Wanted : Food for the Future, qui aide les jeunes à trouver des solutions aux problèmes qui se présentent pour l'agriculture. Ce projet était vraiment intéressant pour différentes raisons. Nous avons d’abord travaillé avec une méthode très créative qui permet aux jeunes d’expérimenter qu’on peut commencer quelque chose avec très peu de ressources.

Ensuite, ils ont appris à développer un produit partant des besoins de la société, du ‘marché’, disons. Au Pérou, les jeunes vivent plutôt isolés à la campagne, entre autres parce qu'ils ne disposent pas de bonnes connexions Internet. C'est pourquoi il est encore plus important de développer des activités offrant aux jeunes des informations et de la vision. Wanted : Food for the Future a fait exactement cela. Cela a provoqué un ‘changement de la façon de penser’ parmi les jeunes qui ont participé. L’importance d’un tel changement de mentalité est inestimable, mais c’est un résultat qu’on ne peut pas vraiment mesurer.

Ce qui me rend vraiment fière est le projet que j’ai pu commencer avec un collègue et la Coopérative de Chirinos, avec le soutien d’une université canadienne (SLA). Quatre étudiants du Canada sont venus à la coopérative pour travailler pendant un mois et demi avec des jeunes et des femmes de la coopérative, dans le but de les aider à développer leurs compétences entrepreneuriales. La méthodologie utilisée peut être décrite comme "apprendre par la pratique". Donner aux jeunes la possibilité d’échanger et d’apprendre, c’est ce que nous avons fait.

Au cours du projet, 3 prototypes de produits ont été développés : du café en sachets de thé, du savon aux résidus de café et du thé à base des fruits du café. En fin de compte, un produit a réellement été réalisé : le thé aux fruits du café. La coopérative a montré un intérêt pour ce produit car il a un marché potentiel, et il a été décidé d'aider les jeunes à développer davantage le projet. C'est un résultat excellent. En tant que Rikolto, nous pouvons donner l’élan, mais c’est la coopérative qui continue, car elle croit aux jeunes et au projet même.

Au Pérou, nous travaillons déjà depuis plusieurs années avec la coopérative Pangoa et, entre-temps, 2 nouvelles coopératives ont été ajoutées. Nous avons réussi à donner aux jeunes une place effective dans la gestion des coopératives. Les 3 coopératives emploient de nombreux jeunes travailleurs. Au cours des dernières années, nous avons vu un changement de mentalité dans ce domaine au sein des coopératives.

Selon toi, qu’est-ce qui aurait pu être encore meilleur ? Qu’est-ce qui t’a déçu ?

Il était parfois frustrant parce que nous manquions les gens, le temps ou les ressources pour communiquer davantage sur ce que nous faisions au Pérou : les projets et activités intéressants que nous étions en train de mettre en place, les résultats qui en sortaient. Longtemps nous n’avions pas de collègue au Pérou responsable pour la communication, et cependant il y avait des choses intéressantes que nous aurions voulus partager avec d’autres jeunes ou avec nos collègues d’autres régions du monde.

Néanmoins, de cette frustration sont nées des bonnes choses. À cause du changement j’ai eu contact avec des collègues qui traitaient les mêmes thèmes dans des autres régions du monde, de façon que nous avons pu partager nos expériences directement. Ainsi, avec quelques collègues d’autres régions, nous avons organisé un webinaire sur pourquoi et comment nous pouvons impliquer les jeunes dans les programmes de Rikolto. Je suis très heureuse d'avoir fait ça, car cela permet de partager nos connaissances entre les bureaux.

Je pense aussi que c’est très bien pour une organisation comme Rikolto de travailler autant que possible avec des équipes multiculturelles. Dans mon expérience, il était très enrichissant de pouvoir apporter à l'équipe des collègues de différentes régions du monde et de différentes réalités. Nous avons également beaucoup appris de l'échange de collègues venus au Pérou pour en savoir plus sur notre projet, mais également pour nous faire connaître d'autres bureaux. Cet échange culturel nous donne de nouveaux, différents, aperçus.

Et si tu regardes vers le futur ? Qu’est-ce qui te préoccupe, quelle est ton souci principal ?

Ce qui m’inquiète, c'est que les citoyens et les pays européens ont tendance à se replier sur eux-mêmes. La peur de l'autre semble prendre le dessus. Je me demande donc ce que cela signifiera pour la coopération internationale à l’avenir. Je constate également que les questions sociales retiennent de moins en moins l’attention. Il y a d'un côté le problème du changement climatique et de l'autre notre modèle économique est clairement sous pression et le changement est nécessaire ...

Néanmoins, je veux continuer à croire que quelque chose de positif peut naître d'une crise. Par exemple, de nombreuses ONG dépendent des fonds publics et la pression sur ces fonds est de plus en plus forte. Je trouve fascinant de voir comment Rikolto cherche activement à être de moins en moins dépendant du soutien du gouvernement. De cette manière, Rikolto travaille réellement sur un modèle d’entreprise sociale. Ainsi, ce qui semble être un problème à première vue peut offrir de nouvelles possibilités.