Sécuriser l’accès aux semences de sésame de qualité au Sénégal

Sécuriser l’accès aux semences de sésame de qualité au Sénégal

08/02/2018

La fédération nationale des producteurs de sésame, FENPROSE, gère aujourd’hui un dispositif pérenne de production de semences de sésame certifiées. Ce qui facilite l’accès aux semences de qualité à ses membres. Grâce à un partenariat basé sur la responsabilisation des organisations de producteurs et à la faveur d’une collaboration étroite avec les services techniques de l’Etat sénégalais, la FENPROSE, avec l’appui de Rikolto, est parvenue à mettre en place un dispositif de proximité assez pérenne de multiplication de semences de sésame qui se maintient depuis son installation.

De 2015 à 2016, ce dispositif a permis de passer de 10 à 16 hectares de superficies emblavéespour une production de semences certifiées respectivement de 3920 kg et 7200 kg. Démarré avec les seuls producteurs de la région de Fatick, le programme touche aujourd’hui les régions de Kaolack, Kaffrine, Kolda, Sédhiou respectivement au centre et au sud du Sénégal et a permis aux producteurs d’accéder à des semences homogènes de qualité. Ce qui permettra d’améliorer sensiblement la qualité de sésame produite et d’accroitre également les rendements. Cela n’a pas toujours été le cas dans cette organisation.

Chiffres-clés du sésame au Sénégal

Le sésame a été réintroduit au Sénégal par le sud du pays en 1985 par une organisation paysanne dénommée AAJAC COLUFIFA1 (Association Africaine Jeunesse Agricole et Culturelle / Comité de Lutte pour la Fin de la Faim) après une première tentative par les pouvoirs publics en 1970 et a gagné le bassin arachidier à partir du milieu des années 1990. Depuis cette période, sa culture est en pleine extension vers de nouvelles zones de production. Le sésamebénéficied’un engouement qui se justifie par plusieurs facteurs. C’est notamment la possibilité de le cultiver presque sur toute l’étendue du territoire sénégalais ; c’est une culture peu exigeante.Aussi, le temps de maturation du sésame est relativement court. Le sésame résiste bien au stress hydrique. La production de sésame s’écoule assez facilement sur le marché.

Sur le plan politique, il y a une volonté manifeste d’ériger le sésame en culture de diversification. Dans le cadre de la Stratégie de Croissance Accélérée (SCA),une stratégie de développement économique définie par l’Etat du Sénégal, le sésame fait partie des spéculations ciblées dans la grappe Agriculture/Agro-industrie. Elle est incluse spécifiquement dans la sous-grappe agriculture pour les chaines de valeur production et commercialisation. Pour matérialiser cette volonté politique, le gouvernement du Sénégal a mis en place un programme d’appui à la filière sésame en 2003 dans le cadre des programmes spéciaux de la politique agricole. Ces programmes avaient comme objectifs la diversification de l’agriculture sénégalaise jusque-là dominée surtout par l’arachide, le mil et le riz. Ils consistaient à introduire et/ou à appuyer le développement de spéculations comme le Bissap, le maïs et le manioc mais aussi le sésame.

Sénégal

Sur le plan des ressources humaines, les chiffres de l’analyse de la chaine de valeur sésame réalisée par l’USAID-CE en 2008 sont éloquents. Selon cette analyse, la filière sésame emploie au niveau national près de 13 000 personnes dont 12 000 producteurs, des collecteurs, des commerçants, des transporteurs, des transformateurs, des grossistes et des exportateurs.

Sur le plan économique, en 2015, la direction de l’analyse et de production des statistiques agricoles du Sénégal, DAPSA, avançait des chiffres qui augurent des lendemains meilleurs pour la filière sésame.La production est estimée à 15 000 tonnes par an. Ce qui représente un revenu brut directde plus de 7 600 000 euros pour les producteurs et près de 229 000 euros de commissions reversées aux collecteurs, commerçants et organisations paysannes qui ont fini par se constituer en acteurs incontournables de la commercialisation du produit brut. D’autre part, le prix au producteur du sésame grain a connu une évolution exponentielle. Il est passé de 75 Fcfa/kg en 2006 à 500 FCFA/kg en 2017. En 2012, du fait de la rareté des stocks mondiaux de sésame, le prix a connu une croissance exceptionnelle allant parfois jusqu’à 800 FCFA /Kg bord-champ permettant ainsi aux producteurs d’améliorer considérablement leurs revenus.

La quasi-totalité de la production est exportée comme matière première brute.La forte demande sur le marché mondial a poussé des investisseurs à s’installer au Sénégal. Il s’agit d’entreprises telles qu’Export Trading Group, Stenberger Commodities entre autres.

Défis à relever

L’appui de Rikolto (ex VECO en Afrique de l’Ouest) tient d’un constat peu reluisant. La situation est telle que, malgré les performances économiques enregistrées, il s’observeune faible maitrise de l’environnement de la production du sésame au Sénégal.Des études ont révélé que toutes les zones éco-géographiques du pays sont concernées. Cette faible maitrise de l’environnement de la production est matérialisée par :

  1. Le problème de la fertilisation des sols : la promotion du sésame a été faite sur ses capacités d’adaptation aux sols pauvres. Ainsi, la culture est installée en général sur les sols les moins riches et elle bénéficie rarement d’apports organiques encore moins minéraux.
  2. L’application encore timide par les producteurs, des itinéraires techniques. Cela se traduit par le non-respect des dates optimales de semis alors que celles-ci sont déterminantes sur le niveau de rendement, des périodes de récoltes, des techniques de séchage etc.…
  3. Le faible accès aux semences de qualité : Bien que la recherche au Sénégal ait identifié et cartographié des variétés de sésame adaptées à toutes les zones écologiques du pays, aucun dispositif pérenne de production de semence certifiées n’a été identifié. Six variétés ont, en effet, été homologuées, mais la carte n’est pas bien connue par les producteurs.

Appui de Rikolto

Cette difficulté pour les producteurs d’accéder à une semence de qualité impacte négativement sur la qualité des productions et limite fortement sa compétitivité et son rôle important dans la lutte contre la pauvreté.

En effet, malgré les prix intéressants sur le marché, le sésame produit au Sénégal reste confronté à un problème de qualité et de rendement qui sont liés principalement à l’absence de qualité observée sur semences habituellement utilisées. Cette situation a amené Rikolto à développer une stratégie de production et de distribution de semences de sésames en collaboration avec ses partenaires à partir de 2012 dans le cadre d’un programme de promotion de la culture du sésame.

La stratégie a consisté à développer dans un premier temps une expérience pilote avec une Organisation de producteurs membre de laFENPROSE : l’Union des Groupements Associés du Niombato (UGAN). L’expérience pilote s’est déroulée sur une période de deux ans avant de passer à la mise à échelle en s’appuyant sur la FENPROSE, organisation faîtière nationale des producteurs de sésame… D’abord une phase test de multiplication de sésame en contre-saison en irrigué et une phase de multiplication en hivernage avec les membres des différentes de base affiliées à UGAN.

Expérience pilote avec UGAN

L’expérience pilote a été conduite avec l’Union des Groupements Associés du Niombato (UGAN), une organisation de producteurs et productrices créée en 1992 sous forme de groupement d’intérêts économiques. En 2008, elle a obtenu le statut légal d’association.

L’UGAN s’est donnée comme mission d’améliorer les conditions de vie des populations de sa zone d’intervention et de les doter de capacités leur permettant de gérer le développement de leurs propres ressources économiques, en mettant en avant la participation active des groupes vulnérables.

Dans les ménages des membres de l’UGAN, environ 70% des femmes ne savent ni lire ni écrire contre 29% chez les hommes. 93% des ménages exploitent des terres qui ne leur appartiennent pas et exploitent en moyenne 1.5 hectare de sésame qui leur procure un revenu moyen de 310 euros. Les revenus tirés du sésame constituent 40% de leurs revenus agricoles qui en plus du sésame proviennent de l’exploitation de l’arachide.

La collaboration entre l’UGAN et Rikolto a démarré en 2006 et a porté dans un premier temps sur la redynamisation de l’organisation et la recherche de la sécurité alimentaire des producteurs et productrices membres. Puis l’appui de Rikolto s’est poursuivi dans le sens de la professionnalisation des acteurs des chaines de valeur, en particulier celle du sésame.  Pour accomplir sa mission d’amélioration des conditions de vie de ses membres, UGAN a sollicité et obtenu à partir de 2007 de Rikolto le financement d’un programme de développement de la culture du sésame dans la région de Fatick, en faveur des producteurs/trices de sésame des Communes de Diossong, Toubacouta, Keur Samba Guèye, Saloum Diané, Nioro Alassane Tall et la commune de Sokone. Des communes situées au centre-ouest du Sénégal, une région traditionnellement connue pour la production de l’arachide. Ainsi, Rikolto en Afrique de l’Ouest a appuyé la professionnalisation des acteurs dans le domaine de la production, de la transformation et de la commercialisation du sésame, une culture qui contribue fortement à l’amélioration des revenus des producteurs. Cette action a permis de booster la production du sésame dans la zone d’intervention de l’UGAN (Niombato). Elle a aussi favorisé le retour à l’agriculture de nombre de jeunes et de femmes de de cette zone.

Résultats prometteurs

Les résultats de ce premier appui étaient juste passables du fait que l’utilisation de semences tout venant non certifiées par les producteurs. En conséquence, ils enregistraient des pertes importantes en raison des mélanges des variétés. Les champs de sésame comportaient des mélanges de variétés, avec des cycles de maturation différents, entrainant à la récolte des pertes importantes de grains (certaines variétés arrivant à maturité plus tôt que les autres). En outre, les producteurs n’étaient pas en mesure de répondre à la demande du marché en termes de variété spécifique à cause des mélanges variétaux : le même stock d’un même producteur pouvait contenir des variétés de couleur et de goût différents.

Cette situation a amené l’Union des Groupements Associés du Niombato (UGAN) avec l’appui de Rikolto (ex VECO/WA), à expérimenter en 2012, dans le cadre d’un programme de promotion de la culture du sésame dans le département de Foundiougne, un projet test de production de semences de sésame en contre-saison.

Pour se faire, un diagnostic de la problématique de la semence de sésame au Sénégal en général et dans le département de Foundiougne en particulier, a été réalisé. Ce diagnostic a permis la formulation des objectifs ciblés de production de semences. Puis, avec l’appui de Rikolto, l’organisation paysanne a identifié et sélectionné les OP membres désireuses d’expérimenter la multiplication de semences. 5 sites de production de semences de sésame ont été aménagés et les groupements bénéficiaires, formés et encadrés sur les techniques de multiplication de semences de sésame. L’organisation a été mise en relation avec les services techniques étatiques d’appui pour la production de semences certifiées (ISRA, DISEM et ANCAR2) pour un partenariat. L’appui de ces services dans toute opération de production de semences est en effet obligatoire. Ils assurent le suivi et l’homologation des parcelles de multiplication de semences ainsi que la certification finale des productions. Des missions d’inspection des parcelles, d’homologation et de certification des semences par les services compétents en l’occurrence la DISEM, ont été organisées.

La première phase du test a consisté à emblaver 0,6 ha en contre saison avec de la semence pré-base de la variété 32.15. Ce qui a abouti à une production de 236 kg de semence de sésame de base soit un rendement d’environ 395Kg à l’hectare en 2013. En collaboration avec la DISEM (Division Semencière), cette première production de 236kg a permis d’emblaver une superficie totale de 25 ha en hivernage en milieu paysan en 2014 avec une production 8 tonnes et des rendements de 425kg par hectare. Puis de passer à 75 ha en 2015 avec une production de 65,7 tonnes comme le résume le tableau ci-dessous. Année Superficie emblavée Quantité de semence produit 2013 0,6 ha 236 kg 2014 25 ha 8 tonnes 2015 75 ha 65,7 tonnes

A toutes ces actions, la FENPROSE a été impliquée en tant que faitière nationale. Ce projet a constitué une innovation au Sénégal et une alternative utile et durable dans la mesure où il a permis de constituer un stock de semences de qualité homogène et économiquement accessibles : une solution aux problèmes d’accès aux semences de qualité.

L’expérience, bien qu’ayant permis d’aboutir à des résultats intéressants, était limitée au seul département de Foundiougne. En outre, en fin d’expérience, UGAN n’a pas encore commencé la commercialisation de semences certifiées : les produits issus de l’expérimentation ont été redistribués aux membres. Aussi, a-t-il été décidé de l’étendre aux autres zones de production notamment celles du centre et du sud et de renforcer UGAN à devenir un opérateur semencier agréé et fournisseur agréé de l’Etat. De même, il a été nécessaire de diversifier les variétés de sésame pour répondre aux besoins du marché. Pour la mise à échelle, l’UGAN avec son rayon d’intervention limité, ne pouvait porter l’action. Par contre la FENPROSE, la faitière nationale des producteurs de sésame, avec sa couverture beaucoup plus large avec des membres présents dans toutes les régions de grande production de sésame était indiquée pour porter la mise à échelle de la production de sésame. Ainsi, la phase de mise à échelle a été conduite avec la FENPROSE. Parallèlement, l’UGAN a été renforcée pour développer une véritable une entreprise agricole de production de semences certifiées de sésame.

Mise à échelle de l’expérience d’UGAN par la FENPROSE

 Jusque-là, le programme de production de semences de sésame par l’UGAN appuyé par Rikolto était localisé dans la région de Fatick, une des sept régions productrices de sésame au Sénégal. Ce qui limite fortement l’accès à des semences de qualité pour les producteurs des autres régions du pays. Ceci malgré les efforts déployés par Rikolto et UGAN pour une bonne fourniture en semences de sésame de qualité avec la mise en place d’un mécanisme de commercialisation par UGAN.

Dans le but de favoriser la production de proximité de semences de qualité, un meilleur approvisionnement des producteurs de sésame ainsi qu’une pérennisation de l’activité, une réorientation de la stratégie a été proposée.

Pour ce faire, comme pour le cas d’UGAN, la FENPROSE avec l’appui de Rikolto, a bâti une stratégie autour des points suivants :

  1. La planification du programme de multiplication de semences : Etat des lieux de la production et de l’accès aux semences par les producteurs, estimation des besoins en semences, élaboration du plan de mise en œuvre, information et sensibilisation des acteurs et des partenaires
  2. Renforcement de capacités des acteurs impliqués dans le processus : formation sur les itinéraires techniques de production de semences, formation sur la législation semencière en vigueur
  3. Facilitation et supervision de la phase de multiplication : Mise en place des intrants (semences, engrais, produits phyto, frais de conditionnement), supervision de la mise en culture, encadrement et suivi par les animateurs au niveau de chaque organisation, suivi pour homologation et certification par la DRDR (Direction Régionale du Développement Rural)/DISEM (Division des Semences)
  4. Commercialisation pour la mise à disposition des semences : Recherche de clients, étude de marché semence sésame, intégration composante semence dans la plateforme SIAM (Système d’Information sur les Marchés), recherche de fonds de commercialisation auprès des partenaires financiers.

Ainsi avec l’appui de Rikolto, UGAN a partagé avec les 12 autres membres de FENPROSE son expérience dans la multiplication de semences. Les autres organisations membres de la FENPROSE s’investissent également désormais dans la production de semence de sésame sur la base de l’expérience d’UGAN en l’introduisant dans des régions qui n’étaient pas encore expérimenté l’activité à savoir : les régions de Kaffrine, Tambacounda, Kaolack et Sédhiou. La mise à échelle qui s’est fait de manière progressive a débuté en 2015 pour aboutir aux résultats présentés dans le tableau suivant : Année Superficie emblavée Quantité de semence produit 2015 0,6 ha 3,92 tonnes 2016 16 ha 7,2 tonnes 2017 8 ha 4,4 tonnes

En attendant de développer des mécanismes de commercialisation avec les entreprises privées semencières et d’avoir l’agrément de fournisseur de l’Etat, la production semencière de la FENPROSE est pour le moment commercialisée en interne.

Parallèlement à cette action, une unité de conditionnement des semences équipée a été mise en place pour UGAN pour une production de semences de qualité certifiées (souffleurs, etc.). Aujourd’hui, l’UGAN a mis en place une cellule pour la gestion de la qualité des semences, un système de collecte et de groupage de la production de semences, un système de collecte des données statistiques sur les superficies, les quantités récoltées et vendues de semences pour mieux maitriser son activité et négocier avec ses partenaires.

Tracer un meilleur avenir pour la filière sésame au Sénégal

Grâce à cette action entreprise depuis plusieurs années, la filière du sésame au Sénégal est en passe de résoudre une des difficultés majeures qui limitait jusqu’à présent sa rentabilité. En effet, la production en quantité et de bonne qualité qui permettra de mieux rémunérer les producteurs en dépend fortement. Cet objectif sera d’autant plus facilement atteint que l’UGAN obtiendra son agrément de fournisseur de l’Etat : en effet, des lenteurs sont enregistrées dans le processus d’attribution de l’agrément de fourniture de semence à la FENPROSE. L’obtention de cet agrément favorisera une meilleure rémunération des producteurs semenciers, la production de semences étant une activité qui engendre des charges importantes.

Encore deux difficultés majeures : accès difficile aux crédits qui empêchent d’étendre les superficies emblavées et difficulté de contractualiser avec une entreprise privée de commercialisation de sésame.

Le programme en cours tente de consolider et de pérenniser ces acquis en essayant de lever les contraintes évoquées par une plus grande professionnalisation des organisations de producteurs à travers le développement d’un business model pour la FENPROSE, un plaidoyer auprès de l’Etat pour des appuis au profit de la filière sésame et surtout l’implication du secteur privé pour une meilleure rentabilisation de la filière.